Lafayette : un nom qui traverse Paris

Index

Lafayette : un nom qui traverse Paris

Dans la capitale, le souvenir du marquis de La Fayette s’inscrit dans la pierre de plusieurs lieux discrets ou emblématiques. Statues, rues et sépultures jalonnent Paris, invitant à redécouvrir l’empreinte singulière de ce pont entre l’histoire française et américaine. Mais l’héritage et la mémoire de La Fayette ne résonnent pas de la même façon en France et aux États-Unis, où la reconnaissance qu’il suscite diffère profondément.

Reportage et photographies : Abel Llavall-Ubach, juillet 2025

Picpus, la mémoire cachée de La Fayette

Symbole de l’amitié franco-américaine, le nom de La Fayette traverse Paris et l’histoire – et bien au-delà de la rue qui porte son nom. Héros de la guerre d’indépendance américaine autant que figure complexe de la Révolution française, Gilbert du Motier, marquis de La Fayette, repose au cimetière de Picpus, caché derrière les murs d’un ancien couvent du 12e arrondissement. Ce cimetière privé, unique lieu privé de sépulture à Paris, fut créé en 1794 pour accueillir aux côtés de deux fosses communes les dépouilles de victimes de la Terreur, principalement des membres de l’aristocratie guillotinés place du Trône renversé (aujourd’hui place de la Nation). La famille de l’épouse de La Fayette y ayant payé un lourd tribut — sa grand-mère, sa mère et sa sœur, toutes trois exécutées —, c’est en tant que descendant des suppliciés que La Fayette put être inhumé dans cet enclos exclusif, où flotte encore le drapeau américain.

Cimetière de Picpus, Paris  (Abel Llavall-Ubach pour Collectio(n))

Un héritage sculpté entre Paris et l’Amérique

Parmi les autres traces parisiennes du marquis, se trouve sa statue de bronze, offerte par une souscription des écoliers américains en remerciement de la Statue de la Liberté. D’abord installée devant le Louvre sous la Troisième République, elle a été déplacée, bien plus à l’écart, au Cours la Reine en 1985 afin de permettre la construction de la pyramide du Louvre.

Statue de La Fayette, Cour la Reine, Paris (Abel Llavall-Ubach pour Collectio(n))

Ce legs témoigne du rayonnement international de La Fayette, tout comme le monument de l’Escadrille Lafayette à Marnes-la-Coquette, qui rend hommage aux pilotes américains ayant combattu pour la France pendant la Première Guerre mondiale avant même que les Etats-Unis n’entrent en guerre en 1917, une unité volontaire baptisée en l’honneur du « héros des deux mondes » pour symboliser la fraternité franco-américaine.

Mémorial de l’Escadrille La Fayette à Marnes-la-Coquette (Hauts-de-Seine)  (Abel Llavall-Ubach pour Collectio(n))

Mémoire contrastée

Si le nom et l’image de La Fayette jalonnent Paris, la reconnaissance dont il jouit diverge selon les rives de l’Atlantique. Aux États-Unis, les hommages sont nombreux et appuyés :(il a reçu la citoyenneté d’honneur américaine à titre posthume, plus de 600 lieux portent le nom de Lafayette, un square lui est dédié à Washington D.C., et son souvenir est célébré chaque année lors du Lafayette Day, notamment dans le Massachusetts.

En France, sa figure, bien que centrale dans la Révolution et la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen — il fut député dès 1789 —, reste plus controversée. Républicain modéré, monarchiste constitutionnel, sa position à mi-chemin entre les idéaux révolutionnaires et l’ordre établi lui a valu autant d’admirateurs que de détracteurs, certains voyant en lui un partisan trop tiède de la démocratie ou un symbole d’une révolution inachevée.

Plaque de la rue La Fayette à Paris (Abel Llavall-Ubach pour Collectio(n))

Ce paradoxe s’incarne jusque sous la légende des plaques de la rue La Fayette dans le 9e arrondissement, qui le définissent uniquement comme « héros de la guerre d’indépendance américaine », omettant son rôle éminent dans l’histoire politique de la France moderne. Rien n’efface néanmoins la puissance symbolique des lieux qui portent son nom et consacrent son rôle de trait d’union entre les deux rives de l’Atlantique.